samedi 18 octobre 2025

Le Fú 福 de Kangxi


Le caractère Fú 福, le bonheur, la bénédiction, est le caractère le plus utilisé en Chine. On le calligraphie à des millions d’exemplaires au moment du Nouvel An, il est affiché sur toutes les portes, des habitations comme des entreprises. À d’autres moments de l’année, on l’affiche dès que l’on veut s’attirer une bonne fortune. C’est le porte-bonheur par excellence.


L’habitude de coller des Fú 福 sur les portes a commencé quand Jiang Taigong, conseiller militaire du 12e s. av. J.-C., est devenu un dieu parmi les dieux. Sa femme, jalouse, voulait elle aussi une place dans cette divine assemblée. Alors Jiang Taigong fit d’elle une “déesse pauvre”, qui avait interdiction d’aller dans les endroits où le mot “fortune” était affiché. Les gens ont donc collé le mot Fú 福, Fortune, sur leur porte, et ont fait exploser des pétards pour éloigner cette “déesse pauvre” qui ne pouvait leur apporter que des ennuis.


Le caractère Fú 福 calligraphié dans neuf styles différents

Il existe une autre légende à propos de ce caractère, celle du Fú 福 de Kangxi (1654-1722), empereur qui régna sous la dynastie Qing. Kangxi était un excellent calligraphe, dont on ne possède que peu d’œuvres. L’une d’elles est un Fú 福 qu’il traça et offrit à sa mère, bien malade. Le talisman devait la guérir, et ô miracle, il remplit son office. 


Faisons un petit saut dans le temps. Quand l’empereur Kangxi mourut, l’un de ses fils lui succéda. Quand ce fils mourut à son tour, l’un de ses fils lui succéda idem, prit le nom de Qianlong (1711-1799). Vers la fin de sa vie, Qianlong eut un conseiller favori, Heshen (1750-1799). On dit de Heshen qu’il fut l’homme politique le plus corrompu de Chine, et aussi - par voie de conséquence - l’homme le plus riche que le pays ait jamais connu. Sa fortune fut évaluée à plus de vingt années de recettes fiscales impériales. On dit que Heshen, non content de rançonner le peuple, vola également le Fú 福 de Kangxi. C’était petit.

Ce gars-là ne manquait pas de moyens, ni d’aplomb. Il se fit construire un merveilleux palais à Pékin : quarante bâtiments, des jardins, des plans d’eau magnifiques, un opéra, sur une surface totale de 60 000 mètres carrés. 




Il en profita pendant quelque années, jusqu’au jour où Qianlong, son protecteur, vint à décéder. Un nouvel empereur fut appelé à régner, et ce fut son fils, Jiaqing (1760-1820). Lequel fit immédiatement arrêter Heshen, qui fut condamné à la peine de mort par écartèlement. Quelques jours plus tard la peine fut commuée en suicide, exit Heshen. Son palais passa ensuite entre les mains du prince Yonglin, puis de Yixin alias le prince Gong. Ce lieu extraordinaire existe toujours, on l’appelle le Palais du prince Gong. 

Oui, bon, d’accord, mais le Fú 福, là-dedans ? J’y viens… Au cours du temps, le palais connut bien des avanies. En 1982 on entama sa rénovation, qui dura quatorze ans. C’est pendant cette période que l’on découvrit, dans l’une de ces grottes artificielles qui parsèment les jardins (la Grotte des Nuages mystérieux, tel est son nom)…


… un grand Fú 福 gravé dans la pierre, le Fú 福 de Kangxi. Ainsi, malgré la disparition de la calligraphie originale, on en retrouva la trace. N’est-ce pas merveilleux ?


La boutique de souvenirs du palais du prince Gong propose, pour une poignée de yuan, le Fú 福 de Kangxi tel un talisman que vous pouvez accrocher chez vous, au rétroviseur de votre voiture ou de votre vélo-cargo, où vous voulez. Il vous portera chance, bonheur, richesse et félicité.


 

En attendant de vous rendre dans ce lieu magique (dont voici l’adresse : No.14, Liuyin Street, Xicheng District, Beijing, attention c’est fermé le lundi), vous pouvez toujours vous exercer à calligraphier le Fú 福 de Kangxi. Et si vous n’y arrivez pas, consolez-vous avec l’une des cent autres manières de tracer ce caractère ô combien bénéfique :

vendredi 17 octobre 2025

De quelques calligraphies


Voici quelques calligraphies que j’aime bien. Dans le désordre, comme ça me vient. Ceux qui seraient intéressés par une conférence carrée sur le sujet peuvent toujours me contacter, j’ai ça dans mes cartons…

1.
Le caractère Longévité 寿 shou, tracé dans le style dit “sigillaire” par Qi Baishi 齐白石 (1864-1957). Qi Baishi était un peintre fort célèbre, connu pour ses peintures d’animaux et de fleurs. Il a aussi révolutionné la pratique de la gravure de sceaux.


2.
Voici un très court extrait du Livre des Rites Lǐjì 礼记 qui est l’un des cinq classiques du canon confucéen. La calligraphie, dans le style “herbe”, est anonyme et date de la dynastie Yuan (1271-1368).

Le texte nous assure que « L’arrogance ne doit pas se développer ; les désirs ne doivent pas être satisfaits ; l’ambition ne doit pas être débridée ; les plaisirs ne doivent pas aller jusqu’à l’excès. »
Compris ?


3.
Le bonheur, fú, 福 de l’empereur Kangxi.
Un de ces jours je vous raconterai l’histoire peu banale de cette calligraphie, véritable roman policier.


4.
Six pages extraites d’un vieux manuel de calligraphie, souvent réédité. Une merveille.

Longue vie - Bonheur



Dragon - Tigre



Son, rime - vent

 

5.
Le poème qui accompagne ces Grues de bon augure peintes en 1112 par l’empereur Huizong 宋徽宗 (1082-1135) est également de la main de l’empereur.

Fabuleux calligraphe, Huizong inventa ce style baptisé “filet d’or”, toujours utilisé aujourd’hui.



6.
Copie par Xu Tianjin 徐天进 (né en 1958) d’une inscription sur un récipient en bronze datant de la fin des Zhou occidentaux (1046-771 avant notre ère). 

Les caractères de cette calligraphie sont appelés Grand Sigillaire, ou Grand Sceau. Cette graphie, abandonnée vers 220 avant notre ère, conserve les faveurs des calligraphes qui reproduisent encore de nos jours des textes dans ce style, sans trop se préoccuper de leur signification : celui copié ici concerne un processus d’indemnisation foncière…


7.
Poèmes manuscrits de Wang Duo 王铎(1592-1652), avec de vraies ratures dedans. Sublime.



8.
Pour finir ce billet désordonné, voici une sentence en quatre caractères très connue issue du Classique de la poésie, « Les cerfs-volants s’envolent vers les cieux, les poissons bondissent dans les abysses » 鳶飛魚躍. Elle est ici calligraphiée par quatre artistes différents.

La phrase est une métaphore à propos des créatures qui évoluent selon leur nature, chacune trouvant sa place pasqu’on aime les choses bien rangées, petit scarabée.