Mi Fu 米芾, qui vécut au 11e siècle sous la dynastie des Song du Nord (960-1127), est l’un des peintres et calligraphe majeurs de l’histoire de l’art chinois. En peinture il a inventé un style, toujours copié de nos jours. Esthète, Il fut un critique d’art aux jugements affûtés voire intransigeants, un collectionneur passionné, un théoricien qui rédigea plusieurs ouvrages importants dont l’un sur la peinture et l’autre sur la calligraphie.
Aucune œuvre peinte de Mi Fu ne nous est parvenue (alors qu’on possède de nombreuses calligraphies), il ne reste que de rares copies où, pour les montagnes et les arbres, le trait de contour est abandonné au profit d’une succession de traits horizontaux déposés sur un papier non traité, absorbant.
Détail où l’on s’aperçoit qu’à part les constructions,
tout est peint avec de longues touches horizontales ou légèrement inclinées
On pourrait penser qu’il s’agit là d’œuvres spontanées, exécutées d’un seul jet sous le coup de l’inspiration. Sauf que l’inspiration, l’improvisation, ça se travaille. Longuement. Très longuement. Et soudain je pense au film Bird, de Clint Eastwood, où l’on voit Charlie Parker, roi de l’impro, répéter pendant des heures dans sa chambre d’hôtel.
Lettré, fonctionnaire réputé un tantinet casse-bonbons qui n’obtiendra jamais que des postes subalternes, Mi Fu, connu pour son excentricité, s’habillait à la mode des Tang (618-907). Le plus célèbre épisode de sa vie devint par la suite un classique de la peinture chinoise. Voici l’anecdote : un jour, nommé magistrat de la région de Wuwei, il rendit une visite de courtoisie aux notables avec qui il allait devoir travailler. Tous l’attendaient dehors, en rang d’oignons, devant le bâtiment officiel. Mais avant de les saluer, Mi Fu s’inclina devant un gros rocher qui marquait l’entrée de la résidence et improvisa un discours à l’adresse de celui qu’il appela le « grand frère rocher ». Ensuite, seulement, il alla saluer ses pairs. Ainsi, il affirmait la supériorité de la Nature sur l’être humain.
L’incident, intitulé généralement Mi Fu se prosternant devant le rocher, a été maintes fois représenté en peinture. Exemples :
Guo Xu 郭诩 (1456-1532, dyn. Ming)
Qian Hui’an 錢慧安 (1833-1911, dyn. Qing)
Ren Bonian 任伯年 (1840-1896, dyn. Qing)
Wang Zhen 王震 (1867–1938)
Zhang Daqian 张大千 (1899-1983)
Liu Danzhai 刘旦宅 (1931-2011)
Mi Fu n’était pas le seul à être obsédé par les rochers aux formes étranges. Les Chinois ont une vénération particulière, voire une obsession pour ces cailloux extraordinaires, énormes ou très petits, qu’on appelle gongshi 供石, rochers de lettrés (la traduction exacte est rocher ou pierre d’offrandes). Je suis moi-même atteint de cette étrange affection consistant à admirer, collectionner, dessiner les rochers. Trouble pour lequel il n’existe aucun antidote et qui peut se révéler contagieux, j’en parlerai dans un très prochain billet.
Peinture de Xie Yousu 谢友苏 (né en 1948)