La Chine compte quatre textes classiques : le Classique des Documents, le Classique des vers, les Annales des Printemps et Automnes et enfin le Classique des mutations, c’est-à-dire le Yi King ou Yi Jing, qui date du date du Ier millénaire av. J.-C.
Le Yi King est un traité de divination rédigé par un empereur légendaire, Fuxi. Il utilise deux traits ; l’un, yang, est continu, l’autre, yin, est brisé. Avec ces deux traits l’on trace huit trigrammes, composés de trois traits : trois traits pleins, deux traits pleins et un brisé, deux traits brisés et un plein, etc.
Les huit trigrammes dans le Yi King publié par Hu Guang (1369-1418),
dans sa réédition de 1440
Si l’on empile deux groupes de trois traits, on obtient 64 combinaisons, les 64 hexagrammes du Yi King.
La divination selon le Yi King se pratiquait en utilisant cinquante tiges d’achillée, selon une procédure très complexe. Plus couramment, on se sert de trois pièces de monnaie (les détails de l’opération sont expliqués ici.) On obtient ainsi un hexagramme, qu’on va ensuite rechercher dans le livre, lequel va délivrer une sentence obscure dont il faudra lire (et tenter de comprendre) la signification. Ajoutons à cela que l’hexagramme obtenu peut muter, des traits peuvent devenir leur contraire et ainsi transformer l’hexagramme en un autre, tout à fait différent. C’est la raison pour laquelle on parle de Classique des Mutations. Car la mutation, le changement, est la base de la philosophie chinoise : tout ce qui bouge est vivant, tout ce qui est fixe est mort. Le Yin-Yang est la forme graphique de ce monde considéré comme étant en perpétuelle mutation puisque dans le Yin figure déjà un point Yang, et dans le Yang figure déjà un point Yin. Ainsi rien n’est fixe, le Yin deviendra Yang, et inversement, c’est ainsi que va le monde.
Pour plus d’explications sur le Yi King, je recommande la page Wikipedia. Pour ma part, je considère le Yi King comme un recueil de fadaises. Chercher à connaître l’avenir en tirant des cartes, en observant le marc de café, en jetant trois pièces de monnaie ou en examinant des cacas de chaton relève de la superstition, de la pensée magique. L’importance du Yi King n’est pas là…
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Au tout début du 18e siècle, le philosophe et mathématicien allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) lit une traduction latine du Yi King, rapportée par les missionnaires installés en Chine. Il examine ce qu’il appelle les « anciennes figures chinoises de Fohy » (Fuxi), autrement dit le Yi King. Là, apprends-je en lisant Hybrides chinois, la quête de tous les possibles de Danielle Elisseeff, il découvre que le monde ne se divise pas seulement en trois (la sainte Trinité) mais aussi en deux avec les notions de Yin et Yang, positif-négatif, mâle-femelle, jour-nuit, etc. Il découvre les deux traits fondamentaux, le plein et le brisé. En tant que philosophe il les baptise « Dieu » et « Néant », en tant que mathématicien, il les baptise « 1 » et « 0 » et c’est ainsi qu’il invente l’arithmétique binaire qui permet de compter avec seulement deux signes, au lieu des dix chiffres arabes utilisés jusqu’alors.
Les 64 hexagrammes du Yi King, envoyés à Gottfried Wilhelm Leibniz par Joachim Bouvet (1656-1730), jésuite français qui vécut en Chine (les chiffres arabes ont été ajoutés par Leibniz)
Voici comment l’on écrit les chiffres de 0 à 7 en langage binaire :
En 1703, Leibniz publie Explication de l’arithmétique binaire, qui se sert des seuls caractères 0 et 1 ; avec des remarques sur son utilité, et sur ce qu’elle donne le sens des anciennes figures chinoises de Fohy.
L’arithmétique binaire donnera naissance au codage du même métal. « C’est le principe de l’informatique et de l’électronique, mais aussi du langage morse, des cartes perforées de l’orgue de barbarie, des métiers Jacquard et des premières machines de mécanographie d’IBM, etc. », nous dit le site culture-expression.fr, dont je recommande aux ignorants dans mon genre la lecture de l’article intitulé La découverte de l’arithmétique binaire dans la Chine antique (auquel je n’ai pas tout compris, loin de là).
Tout ce qui précède ressemblera sans doute à une accumulation d’évidences pour certains lecteurs. Mais pour moi qui suis inculte dans le domaine des sciences, je trouve fascinant, extraordinaire, que deux simples traits, un entier et un brisé, tracés à coups de pinceau par des devins chinois du fond des âges, nous aient menés à l’invention de l’informatique, à ce texte que je suis actuellement en train d’écrire sur un clavier d’ordinateur et que vous êtes en train de lire, dans votre canapé ou dans le métro.
Poignées de portes dans un temple taoïste à Taipei (Taiwan)
qui affichent les huit trigrammes, lesquels donneront
par combinaison les soixante-quatre hexagrammes du Yi King