Le paysage chinois abstrait 1. Liu Kuo-sung
lundi 9 juin 2025, 10:44 Peintures de paysage 山水画 Lien permanent
La peinture de paysage chinois, shanshui 山水, est très codifiée. On y trouve, à peu près invariablement, de la montagne, de l’eau, de la brume ou des nuages, de la végétation — principalement des arbres — et une construction humaine dans un coin, voire un ou plusieurs personnages, minuscules. Avec ces quelques éléments, on a peint et on continue de peindre des millions d’œuvres. Le défi étant de faire, à chaque fois, quelque chose de différent. Ce n’est pas simple du tout, et c’est ça qui est intéressant. Mais, au XXe siècle, est apparue dans la sphère chinoise un truc tout nouveau venu d’Occident : l’art abstrait*, et plus particulièrement l’expressionnisme abstrait américain. Pouvait-on abandonner les traditions que d’aucuns jugeaient empoussiérées et faire du shanshui abstrait ? La tentation était grande. Certains artistes se lancèrent dans cette aventure, je vais en évoquer quelques-uns ici en plusieurs billets.
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* On pourrait objecter que bien avant le XXe siècle, l’abstraction avait pointé le bout de son nez dans le shanshui. Certes. J’en parlerai peut-être un de ces jours.
LIU KUO-SUNG (Liu Guosong) 劉國松
En 2019, alors que je préparais un voyage à Taiwan, je me suis demandé s’il était intéressant de visiter la ville de Kaohsiung, où je n’avais encore jamais mis les pieds. L’endroit abrite un célèbre Lac du Lotus entouré de temples — certains classiques et d’autres très kitsch —, et aussi un musée des beaux-arts qui prévoyait d’exposer soixante-quatre œuvres du peintre Liu Kuo-sung, alors âgé de quatre-vingt-sept ans. Je connaissais (ou plutôt je croyais connaître) l’œuvre de cet artiste, qui ne m’intéressait pas vraiment : des polyptyques montrant de gigantesques lunes peintes dans des couleurs souvent criardes. J’y suis quand même allé et n’ai pas regretté, bien au contraire.
Au début des années 60, avant ses séries consacrées à la lune qui commencèrent en 1968, Liu Kuo-sung inventa une nouvelle technique de peinture à l’encre : il demanda à un fabricant de papier de coller, sur ses feuilles, une seconde couche faite de grossières fibres de coton. Après avoir peint dessus de manière abstraite en s’inspirant des gestes de la calligraphie, Liu Kuo-sung décollait lesdites fibres, qui avaient donc servi de masque. Sous elles, le papier était resté blanc. Ainsi apparaissait une peinture striée de lignes, de formes blanches.
Voici un tout petit échantillon des œuvres ainsi réalisées :
Plus tard, Liu Kuo-sung fera d’autres expérimentations. Dans les années 2000, il reviendra à cette technique des fibres de coton arrachées pour composer une série de peintures ayant pouer sujet les montagnes du Tibet. En voici une poignée :
Il faut, de manière impérative à tendance obligatoire, voir les œuvres de Liu Kuo-sung en vrai ; la plupart d’entre elles sont de très grande taille, et c’est très impressionnant. On en trouve dans de nombreux musées d’art contemporain de par le monde, dans des galeries, et dans des salles des ventes (c’est le moment de sacrifier votre livret A). Liu Kuo-sung est probablement mon peintre chinois vivant préféré,même si toute une partie de son œuvre me laisse indifférent.
Commentaires
Oh la la que c’est beau !
Ouah. Ca fait un truc au creux du ventre à regarder, avant même d’aller chercher les détails.